L’avant-garde industrielle et la planification méticuleuse d’une cité modèle
Quiconque a parcouru Arvida garde une mémoire vive de son abondante végétation, de sa figure pittoresque et de ses rues en apparence sinueuses, bien différentes de celles des villes habituelles. Elle doit ce paysage distinctif au plan d’ensemble très élaboré que ses auteurs, Brainerd et Skougor, ont doté d’un raffinement esthétique incomparable, tout en y introduisant les idéaux les plus modernes : dans les faits, Arvida tient son cachet du mariage étroit entre ce plan et le sol profondément raviné du Saguenay, que les tracés urbains de la cité délimitent et contournent. Nulle part ailleurs ce tableau d’une cité ancrée à la terre, comme si elle y avait toujours existé, n’aurait pu prendre cet aspect.
C’est l’une des caractéristiques marquantes d’Arvida d’avoir été l’œuvre de concepteurs célèbres, qui y ont créé un environnement bâti propice à susciter l’appartenance de ses habitants. De même que le Manoir du Saguenay, qui représentera Arvida de par le monde, les maisons arvidiennes réinventent l’habitat typique du Canada français, en réutilisant, dans un cadre original, des dispositions typiques tels les lucarnes, les toits à deux versants et les galeries. Dès 1926, ce style néo-vernaculaire arvidien s’affirme. En plus d’être élevées sur des fondations de béton, signe de leur permanence, et d’être toutes, sauf une exception, unifamiliales, les maisons particulièrement variées de la ville construite en 135 jours peuvent aussi, dès leur construction, être acquises par leurs habitants : l’entreprise a en effet mis sur pied un crédit-bail original, ajusté aux capacités financières des acheteurs, afin de permettre aux travailleurs d’accéder à la propriété.
Arvida a aussi, dès les débuts, été conçue dans son intégrité comme un véritable ensemble urbain, doté de quartiers résidentiels, de centres institutionnels et commerciaux de voisinage et d’un centre-ville véritablement métropolitain. Ce dernier emprunte aux grandes capitales de l’Occident une figure monumentale : de vastes rues bien droites marquent le paysage borné de quatre grands ensembles industriels et civiques, symboles de la cité industrielle en devenir. De tout Arvida, c’est le seul projet qui n’ait pas encore trouvé sa matérialisation complète : les aléas de la crise de 1929, puis l’essor de l’urbanisme fonctionnaliste, moins féru de monumentalité, ont suspendu quelque temps sa réalisation. Aujourd’hui, c’est comme milieu de vie, à l’ère postindustrielle, que le centre d’Arvida renaît : le paysage imaginé par Brainerd et Skougor est tout prêt pour l’accueillir.
Vue des usines d’Arvida en 1950. |
|
Arvida, la rue Alexander peu après sa construction, vers 1940. |
Visiter Arvida et rencontrer les Arvidiens révèlent les traits distinctifs de la cité modèle :
- Son architecture néo-vernaculaire, née d’un métissage des traditions locales et des pratiques occidentales de l’urbanisme, qui réinvente le paysage historique et les modes d’habiter canadiens-français.
- La variété architecturale de ses habitations, destinées à favoriser l’épanouissement des familles : plus de 100 modèles de maisons ont été conçus afin de permettre aux travailleurs d’accéder à la propriété, quel que soit leur rang social.
- L’avant-garde de ses installations industrielles qui, grâce au potentiel naturel inégalé de la région, ont battu des records mondiaux de production.
- Son chantier de construction novateur, caractérisé par une programmation rationnelle et des conditions d’exécution qui ont mis à profit les usages nord-américains pour prêter vie à la « ville construite en 135 jours ».
- L’envergure de son urbanisme, déployé à partir d’un plan graphiquement et conceptuellement unique, témoin de la maturité des pratiques et de la valeur utopique du projet de la cité modèle, dévolue à engendrer un milieu de vie dépourvu de ségrégation sociale ou raciale.
L’abondante végétation d’Arvida, après presque un siècle de croissance, forme une « forêt urbaine » qui englobe les bâtiments et forge les paysages de la « Cité-Jardin ». Crédit : Paul Cimon |